lundi 20 décembre 2010

Surveillance des droits de l’homme au Sahara Occidental


Introduction
Les deux dernières réunions du Conseil de Sécurité consacrées à l'extension de la Mission de l'ONU pour un référendum au Sahara Occidental [MINURSO] ont été dominées par des discussions sur l'inclusion d'une composante de surveillance des droits de l'homme dans le mandat de la mission. Malgré le soutien ferme du Mexique et du Royaume-Uni, la proposition a été rejetée à chaque fois en raison de l'opposition ardente de la France. Les plus récents événements dans les territoires occupés du Sahara Occidental - y compris la construction et la destruction du camp de protestation sahraoui à l'extérieur de la ville de El Aaiun et les batailles de rues qui ont suivi dans la capitale – ont convaincu de nombreux gouvernements auparavant neutres de la nécessité de la surveillance des droits de l'homme au Sahara Occidental. L'analyse qui suit propose des recommandations générales suivies de trois options spécifiques pour un organe de surveillance des droits humains, qui doit être mis en œuvre par le Conseil de Sécurité lors de sa prochaine réunion en avril 2011.

Dispositions générales relatives à la structuration de l’organe
Pour répondre aux préoccupations des deux parties, l’organe doit être soigneusement structuré. De façon générale, il doit :
Avoir un mandat de l'ONU : Pour éviter l'obstruction par les deux parties, l’organe doit être mandaté par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, le Conseil des Droits Humains, ou un autre corps de l'ONU (1)
Rendre ses comptes au Conseil de Sécurité : Bien qu'il existe plusieurs options pour la structuration de l'organe de surveillance, les rapports doivent finalement être présentées au Conseil de Sécurité, afin que les parties soient tenues responsables et le Conseil de Sécurité informé de la situation des droits humains au Sahara Occidental;
Opérer de façon égale : Les droits humains doivent être surveillés dans les deux territoires occupés du Sahara Occidental et les camps de réfugiés de Tindouf gérés par le Polisario(2) et
Être permanent : les organismes temporaires ou périodiques des missions d'enquête au Sahara Occidental et les camps de réfugiés seraient inefficaces et non fiables(3). Le Front Polisario en particulier, ne peut envisager des missions temporaires comme suffisante pour protéger les droits des Sahraouis dans les territoires occupés.

Responsabilités générales de l'Organe
Les fonctions de l'organe de surveillance des droits de l'homme doivent également être bien définies, afin d’éviter toute confusion et des oppositions à ses activités. Bien que les détails de ces responsabilités devraient être décidées par le Maroc, le Front Polisario, et le Groupe des amis du Sahara Occidental(4), afin de prendre en compte les circonstances actuelles, ils devraient au moins comprendre :

Un processus de revendication qui permet aux particuliers de soumettre des témoignages ou plaintes de violations des droits humains à l'organisme et qui fournit un mécanisme spécifique d'enquête et de réaction à de telles affirmations;
Des enquêtes régulières dans les prisons, dans les camps de Tindouf et les territoires occupés. C'est dans ces prisons que la plupart des violations présumées des droits de l'homme se produisent, ainsi les prisonniers doivent être interrogés régulièrement ; et
Des visites périodiques et inopinées dans les maisons sahraouies des deux zones. Ces visites doivent être à la fois fréquentes et aléatoires, pour s'assurer que les sources ne sont pas intimidées ou préparées par les fonctionnaires de chaque lieux.

Options spécifiques pour la structuration du Mécanisme
Un certain nombre d'options possibles pour l'organe de surveillance des droits humains ont été présentées au Groupe des Amis et sont actuellement examinées. Les trois options les plus appropriées sont analysées et développées ci-dessous :

1) Le mandat de la MINURSO
C'est l'option privilégiée par le Front Polisario et nombre de ses soutiens internationaux. Les arguments qui suggèrent que l’adjonction de la fonction au mandat de la MINURSO pourrait entacher l'image d'impartialité et l'efficacité de la mission sont nuls, puisque le Polisario et la population sahraouie considère la mission comme partiale et inefficace. En outre, la responsabilité des droits de l'homme est inclue dans les mandats des dizaines d'autres missions de paix de l'ONU - la Mission des Nations Unies au Darfour [MINUAD], la Mission des Nations Unies au Liberia [MINUL], la Mission de Stabilisation de l'Organisation des Nations Unies en République Démocratique du Congo [MONUSCO], et la Mission de stabilisation des Nations Unies en Haïti [MINUSTAH], pour n'en nommer que quelques-unes - il est difficile de penser que la mission de la MINURSO serait entravée par cette responsabilité supplémentaire(5). Le Royaume du Maroc considère l'attribution des responsabilités supplémentaires à la MINURSO comme une menace pour sa souveraineté, alors qu’aucun pays étranger ou organisme international ne reconnaît de souveraineté au Maroc sur le Sahara Occidental.

Si la surveillance des droits de l’homme était inclue dans le mandat de la MINURSO, il conviendrait d’inclure deux dispositions de base. Tout d'abord, une surveillance constante et des rapports réguliers doivent être effectués. Il faut pour cela du personnel civil international supplémentaire, du personnel civil local, et/ou des Volontaires(6) des Nations Unies. Deuxièmement, la MINURSO devra travailler directement avec les organisations locales des droits de l'homme - officielles et non gouvernementales - pour améliorer leurs capacités et compétences dans le suivi et la protection. Des exemples de telles organisations existent, dont l’Association Sahraouie des Victimes des droits de l'homme [ASVDH], l'Association marocaine des droits de l'homme [AMDH](7), le Conseil consultatif des droits de l'homme [CCDH], et l’Association pour les familles des prisonniers et disparus sahraouis [AFAPREDESA]. La Fonction de contrôle des droits de l'homme pourrait être transféré progressivement à ces organisations, qui ferait directement leur rapport à la MINURSO.

La difficulté de cette option réside dans la surveillance des droits de l'homme dans les campements de réfugiés de Tindouf, puisque la MINURSO n'a pas actuellement de présence là-bas. Cet obstacle peut être surmonté par l’installation d’une petite équipe de la MINURSO dans les camps, élargissement du bureau de liaison de la MINURSO à Tindouf, ou par l'utilisation des services de l'Office du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [UNHCR], qui maintient une petite contingence dans les camps.

La MINURSO est l'institution préférable pour le contrôle des droits, du fait de son incapacité à organiser le référendum au Sahara Occidental, les représentants sahraouis et la population doutent de son efficacité. Un contrôle effectif des droits de l'homme prouverait son utilité pour les Sahraouis. Puisque le Maroc continuera à s'opposer à cette option, le Conseil de sécurité - ou, plus probablement, le Groupe des Amis - devra être prêt à faire pression sur le Royaume pour qu’il accepte. La plupart des décisions prises par l'ONU sur la façon de procéder dans le Sahara Occidental ont jusqu'à présent été motivées par le désir d'apaiser les deux parties, mais en particulier le Maroc.
L’apaisement n’aidera pas à briser le statu quo, et des décisions difficiles, parfois abrasives doivent être prises pour faire avancer le processus de paix.

2) Le Haut Commissariat aux réfugiés HCR
Si un accord n'est pas trouvé pour l'inclusion de la surveillance des droits de l’homme dans le mandat de la MINURSO, le Bureau du Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l'Homme [HCDH] est la deuxième option la plus appropriée. Il y a deux possibilités par lesquelles le Haut Commissariat peut s’impliquer efficacement. Tout d'abord, un bureau régional peut être ouvert dans le Royaume du Maroc(8). Ce bureau pourrait couvrir l’Afrique du Nord et de l'Ouest, et cette présence prouverait l'engagement du Maroc à l'amélioration de son bilan droits de l’homme. Le bureau régional pourrait alors maintenir des bureaux satellites à la fois dans les territoires occupés et dans les camps de réfugiés de Tindouf. Deuxièmement, sans ouvrir un nouveau bureau régional, le Haut Commissariat pourrait déployer des équipes pour travailler aux côtés de la MINURSO en territoires occupés et du HCR dans les camps de réfugiés. Ces équipes seraient chargées de recevoir les plaintes, surveiller les institutions, faciliter le travail des organisations locales, et offrir une formation officielle pour les institutions des droits de l'homme. Les autres tâches parfois entreprises par le Haut Commissariat - la nomination d'un conseiller en droits de l'homme ou le déploiement d’une équipe d’intervention rapide - ne sont pas appropriées pour le cas du Sahara Occidental, puisqu’une présence permanente est nécessaire pour vraiment répondre aux préoccupations des parties.

3) Une commission bi-partisane
La création d'une commission de contrôle bi-partisane servirait le double rôle de mécanisme de surveillance des droits de l'homme et de mesure de confiance [CBM]. Selon cette option, le Conseil du Haut Commissariat aux droits de l'homme pourrait nommer un Rapporteur spécial temporaire ou un expert indépendant qui aurait, avec l'aide du personnel Haut Commissariat, à créer et former une commission d’observateurs sahraouis et marocains des droits de l’homme. La commission serait composée d'un nombre égal de représentants d’organisations des droits de l'homme existantes - ASVDH, AMDH, CCDH, et AFAPREDESA - ainsi que de civils marocains et sahraouis, mais serait présidée par le Rapporteur spécial ou l’expert indépendant. La commission conduirait des enquêtes permanentes et présenterait des rapports réguliers au Haut Commissariat, au Conseil de Sécurité, au Groupe des Amis, et à l’Envoyé spécial M.Ross.

Encore une fois, les commissions doivent être établies dans les territoires occupés et les camps de réfugiés de Tindouf. Deux ONG sahraouies opèrent déjà dans les camps - le Croissant Rouge Sahraoui et l’AFAPREDESA – et pourraient représenter les Sahraouis, tandis que la présence marocaine devrait être négociée avec les deux parties. Les journalistes marocains ont, dans le passé, été autorisés à entrer dans les camps, de sorte qu'il est possible que des observateurs indépendants marocains soient autorisés à participer à la commission. Si le Royaume du Maroc, l'Algérie ou le Front Polisario refuse de permettre aux citoyens marocains de rester de façon permanente hors des camps, des individus tiers - de la France, la Suisse, l'Argentine, ou d'un autre pays de confiance pour le Maroc - peuvent être nommé pour prendre leur place sur le Commission. Des représentants de la Commission africaine des droits des hommes et des peuples peuvent également remplir ce rôle.

Le financement de la commission pourrait incomber au Maroc et au Polisario (qui reçoit déjà du soutien d’ONG étrangères pour les activités de droits de l'homme), mais devrait de préférence être à la charge du Haut Commissariat ou du Groupe des Amis.

Bien que cette option puisse sembler improbable, elle ne doit pas être immédiatement rejetée.
Réunir des membres marocains et sahraouis de la société civile servirait l'importante fonction des mesures de confiance. Jusqu'à présent, les seules mesures de confiance mises en œuvre ou considérées sérieusement par les parties sont celles visant à augmenter la communication entre les réfugiés sahraouis et ceux qui vivent sous l’occupation marocaine, ce qui a très peu soutenu le processus de résolution du conflit. L'utilité du débat des droits humains pour favoriser la confiance entre les parties ne doit pas être oubliée. Le Maroc peut en outre saisir cette occasion pour prouver à la communauté internationale la sincérité de ses efforts à améliorer les droits de l'homme dans le Royaume en engageant directement les Sahraouis vivant de facto sous son contrôle.

Conclusion
Même si ce n’est pas idéal, à défaut, si un examen périodique de la situation des droits humains au Sahara Occidental et dans les camps de réfugiés en Algérie - par la nomination d'un Rapporteur spécial du Conseil des droits de l'homme ou par des envois de missions d'enquête ponctuelle par le Haut Commissariat - est la seule option acceptée, c’est une première étape nécessaire vers la protection des droits de l'homme des victimes du conflit du Sahara Occidental. Cet objectif est impératif à la fois pour assurer la sécurité des Sahraouis et pour améliorer l'atmosphère des négociations. Régler la question du suivi des droits de l'homme va supprimer un point de discorde de la table des négociations, ce qui obligera les parties à se concentrer plus sérieusement sur les questions politiques. Enfin, si l'ONU ne peut trouver un moyen pour protéger les Sahraouis qui vivent sous occupation, le Front Polisario pourrait bientôt devenir incapable de résister aux appels de son peuple à le faire par l’usage de la force.


Ressources Internet utiles
Liens des Nations Unies
1) la MINURSO
minurso.unmissions.org / Default.aspx? tabid = 3949
2) Le Haut-Commissariat aux réfugiés - Dans le monde
www.ohchr.org / FR / Pays / Pages / WorkInField.aspx
3) Rapport du Conseil de sécurité - avril 2010 - Sahara occidental
http://www.securitycouncilreport.org/site/c.glKWLeMTIsG/b.5888497/k.36C2/April_2010brWestern_Saraha.htm
4) HCR - Protection
www.unhcr.org/pages/49c3646cc8.html
5) Mission des Nations Unies au Darfour [MINUAD] - Droits de l'Homme
unamid.unmissions.org / Default.aspx? tabid = 2491
6) Mission des Nations Unies au Libéria [MINUL] - la protection des droits de l'homme
unmil.org/1content.asp? ccat humanrights = & zdoc = 1
7) Mission des Nations Unies au Soudan [UNMIS] - Fiche des droits de l'homme
unmis.unmissions.org / LinkClick.aspx? Fileticket = jGNvKgHVdY8% & tabid = 561v

Organisations marocaines ou sahraouies des droits de l’homme
8) Association pour les familles des prisonniers et disparus sahraouis [AFAPREDESA]
www.afapredesa.org
9 Le Conseil marocain Consultatif des Droits de l'Homme [CCDH]
www.ccdh.org.ma
10 Association marocaine des Droits de l'Homme [AMDH]
www.amdh.org.ma
11) Association Sahraouie des Victimes des Droits de l'Homme [ASVDH]
asvdh.net / Anglais /

En soutien de la surveillance des droits de l'homme
12) Parlement européen
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+MOTION+P7-RC-2010-0675 +0 + DOC + PDF + V0 / / FR
13) Human Rights Watch
http://www.hrw.org/en/news/2009/04/17/letter-unsc-urging-human-rights-suivi-Sahara Occidental
14 Centre RFK pour la justice et les droits de l'homme
www.rfkcenter.org/node/323


Notes :
(1) Bien que le bureau de l'Envoyé spécial pour le Sahara occidental du Secrétaire général des Nations Unies doive recevoir des copies des rapports sur les droits de l'homme produits par l'organisme de surveillance, tant que l’envoyé spécial est principalement responsable de la médiation dans le processus de négociations, il ne devrait pas être chargé de surveillance des droits de l'homme. Faire de l'Envoyé spécial Ross le responsable direct de l'organe de contrôle effacerait la neutralité apparente dont il jouit actuellement et compliquerait davantage sa mission.
(2) Le Front Polisario a accepté de permettre que les droits de l'homme soient contrôlés dans les camps, si une surveillance similaire est mise en place dans les territoires occupés du Sahara occidental.
(3) Par exemple, le bureau du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme [HCR] a envoyé une mission d'enquête au Sahara occidental en 2006. Le rapport ultérieur n'a jamais été rendu public, en raison d’opposition à ses conclusions, principalement en provenance du Royaume du Maroc.
(4) Le Groupe des Amis : France, Russie, Espagne, U.S., et le Royaume-Uni.
(5) MINURSO a actuellement trois responsabilités : surveillance du cessez-le-feu de 1991, réduction de la menace posée par les mines terrestres et munitions non explosées, et à soutenir les mesures de confiance [CBM].
(6) Actuellement, la MINURSO emploie seulement 20 Volontaires des Nations Unies, par opposition à la Mission des Nations Unies au Soudan [UNMIS], qui en a 422. La possibilité dépasse largement la demande pour les postes de Volontaire des Nations Unies, c'est un moyen abordable d'accroître la capacité de la MINURSO pour lui permettre de surveiller les droits de l'homme.
(7) L'AMDH est une option particulièrement intéressante, car c’est la plus grande organisation des droits humains au Maroc, (avec plus de 10.000 membres), a le soutien du trône, et a acquis une certaine crédibilité auprès des Sahraouis qui vivent sous occupation.
(8) Actuellement, les bureaux régionaux du HCDH les plus proches sont à Addis-Abeba (Afrique de l'Est) et à Beyrouth (Moyen-Orient).


OSF 13 décembre 2010 
Traduction APSO, publication autorisée par l'auteur.
http://www.statehoodandfreedom.org/